L’exécutif européen a dévoilé le 16 juillet sa proposition portant sur un montant historique de 2000 milliards d’euros, basé sur des contributions nationales stables, et des ressources propres liées notamment au tabac, au non recyclage des déchets électroniques et plastiques, et à un prélèvement sur les grandes entreprises (CA supérieur à 100 millions d’euros).
Un vaste fonds qui mettrait fin à certaines politiques historiques de l’UE
Une enveloppe de 865 milliards d’euros, soit 48% du futur budget européen viendrait fusionner dans un Fonds unique la politique de cohésion, la pêche et le maritime, les fonds pour l’immigration, la sécurité intérieure et la gestion des frontières, le Fonds social pour le climat ainsi que les deux piliers de la politique agricole commune (PAC). Cette fusion vise à créer plus de cohérence entre les différentes interventions, et à éviter les chevauchements. Le fonds poursuivrait les objectifs suivants :
- Réduire les déséquilibres régionaux au sein de l'UE et le retard des régions les moins favorisées et promouvoir la coopération territoriale européenne
- Soutenir l'emploi de qualité, l'éducation et les compétences, ainsi que l'inclusion sociale
- Contribuer à une « transition socialement équitable vers la neutralité climatique »,
- Soutenir la mise en œuvre de la PAC, soutenir la mise en œuvre de la politique commune de la pêche
- Protéger et renforcer la démocratie en Europe et les valeurs européennes
Ce fonds serait pré-réparti entre les 27 Etats-Membres ; selon une clé de répartition prenant en compte la population, la pauvreté, des critères économiques, mais également les besoins pour l’agriculture et les tensions aux frontières. La France se verrait allouer, selon cette première mouture, une enveloppe globale d’environ 90 milliards d’euros. Pour bénéficier de son enveloppe, chaque Etat membre devra élaborer un plan de partenariat national et régional, fixant son programme de réformes et d’investissements en lien avec les priorités européennes. Les décaissements de fonds interviendraient à mesure que sont atteints les objectifs. La disparition d’une enveloppe réservée à la politique de cohésion, de même que la profonde transformation de la Politique Agricole Commune suscitent de nombreuses interrogations à travers l’Europe.
Des enveloppes ambitieuses pour la compétitivité, l’innovation et la connectivité
La Commission européenne propose la création d’un Fonds de compétitivité doté d’un budget de 410 milliards d’euros, afin d’augmenter l’impact technologique et économique, de réduire les dépendances stratégiques, d’attirer les investissements privés et de soutenir les infrastructures et les PME. Ce Fonds englobera plusieurs programmes existants (notamment le Fonds pour l’innovation ; le Programme pour une Europe numérique, le volet numérique du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe, le Fonds européen de Défense, EU4Health et une partie du programme LIFE) afin de constituer un guichet unique et de simplifier le parcours du porteur de projet à tous les stades de l’innovation. Plus spécifiquement, ce fonds pour la compétitivité permettra de soutenir des projets dans les quatre domaines suivants : Transition propre et décarbonation industrielle ; Santé, biotechnologie et bioéconomie ; Numérique ; Industrie de la défense et de l’espace. A chacune de ces thématiques est associée une enveloppe budgétaire, susceptible d’être réévaluée en cours de programmation en fonction des priorités de l’UE.
Parallèlement, il est proposé que le prochain programme-cadre pour la recherche et l'innovation Horizon Europe demeure un fonds à part. Il adopterait une nouvelle structure à quatre piliers : l'excellence scientifique ; la compétitivité et la société ; l'innovation ; et l'espace européen de la recherche. Il sera doté d’un budget en forte augmentation avec 175 milliards d'euros.
La Commission propose un Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE) 2028-2034, d’un montant de plus de 80 milliards d’euros qui se concentrera sur le financement des infrastructures de transports et l’énergie. Le secteur numérique, qui ne bénéficiait déjà que d’une petite partie de son budget sous la période de programmation actuelle, disparaît des objectifs du mécanisme.
Concernant les transports, les financements devraient davantage se concentrer sur les sections transfrontalières du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), les États membres étant invités à utiliser les futurs plans nationaux et régionaux pour investir dans les « tronçons nationaux qui se connectent aux liaisons transfrontalières ». La proposition prévoit un montant renforcé fléché vers les projets de mobilité militaire, priorité renforcée du nouvel MIE.
Dans le secteur de l’énergie, le MIE cofinancera les projets d’intérêt commun (PIC) et les projets d’intérêt mutuel (en coopération avec des pays tiers) afin de promouvoir l’interopérabilité des réseaux, assurer la sécurité énergétique de l’UE et faciliter la décarbonation de l’Europe. Le projet consacre une section au financement des projets transfrontaliers dans le domaine des énergies renouvelables ; de l’hydrogène et du transport du dioxyde de carbone.
L’éducation et les valeurs européennes renforcées
Le budget Erasmus+ va être augmenté de 50 % et sera ainsi porté à 40,8 milliards d’euros. « Un programme Erasmus+ renforcé constituera l'épine dorsale de l'Union des compétences. » Le Corps européen de Solidarité intègrera Erasmus + qui deviendra ainsi le point d’entrée unique des jeunes vers les opportunités européennes. Le programme évoluera pour devenir plus inclusif.
Un programme Agora EU vient fusionner Europe créative avec le programme Citoyens, égalité, droits et valeurs (CERV). Il serait doté d’un budget de 8,6 milliards d’euros. Cette fusion est justifiée dans la proposition par la nécessité d’optimiser l’efficacité du financement, de simplifier les procédures et d’éviter la fragmentation.
- Le programme comportera trois volets : Culture, Media+ et Union Values. Le volet Culture se concentrera sur la coopération transfrontalière, la mobilité et la participation, avec de nouveaux objectifs tels que le développement de la politique culturelle et l’équité intergénérationnelle. Si chaque volet conserve une certaine autonomie, l’ensemble du programme vise avant tout à favoriser la coopération et l’innovation dans les domaines de la culture, des médias et de la citoyenneté.
- Lutte contre la désinformation : le programme fusionné pourrait devenir un instrument de financement pour le Bouclier européen de la démocratie, la stratégie de l’UE contre les ingérences étrangères.
Une approche plus stratégique pour l’action extérieure de l’UE
Le troisième pilier du budget proposé par la Commission s’appuie sur l’instrument « Global Europe », doté de 200 milliards d’euros, qui regroupera des programmes auparavant distincts et allouera des fonds à six enveloppes régionales, notamment pour l’élargissement et les initiatives en matière de politique étrangère. Ce fonds viserait à maximiser l'impact sur le terrain et à améliorer la visibilité de l'action extérieure de l'UE dans les pays partenaires. Il devrait également permettre à l’UE d'intensifier le soutien aux pays candidats et de préparer leur adhésion. Cet instrument sera doté d'une réserve de 15 milliards d'euros pour répondre aux crises émergentes et aux besoins imprévus.
Le projet de budget inclura le fonds hors budget de 100 milliards d’euros précédemment annoncé pour ancrer l’aide à long terme à Kiev de 2028 à 2034.
De longues négociations interinstitutionnelles à venir
Les enjeux de la négociation qui s’ouvre sont « hors norme », tant par les montants engagés que par les arbitrages politiques que les États doivent effectuer pour parvenir à un accord. La proposition de la Commission sera débattue au cours des prochains mois afin d’obtenir l’approbation des Etats membres et du Parlement. Ce processus peut prendre jusqu’à deux ans.
Les négociations s’annoncent ardues, de nombreuses inquiétudes s’étant exprimées. Dans un communiqué publié par le Parlement européen , les eurodéputés dénoncent un "manque d’ambition pour la politique agricole commune et pour la politique de cohésion (…). Les co-rapporteurs du Parlement sur le budget européen, Siegfried MUREŞAN (EPP/RO) et Carla TAVARES (S&D/PT) ont d’ores et déjà fait connaitre leurs profondes réserves quant à toute tentative de renationaliser les politiques européennes et demandent à ce que la cohésion et la PAC demeurent des politiques à part entières. « Nous, le Parlement européen, ne pouvons accepter que le budget de l’Union européenne devienne la somme de 27 agendas nationaux différents, qui finiront par entrer en conflit », a fait savoir Siegfried Mureșan ; « « Nous pouvons d’ores et déjà affirmer que nous ne lancerons pas le processus de négociation s’il n’y a pas de politique claire et distincte en matière de PAC et de cohésion », a-t-il martelé.
En France, Régions de France a rapidement exprimé ses craintes quant à un recul du projet européen, qui entrainerait une renationalisation de plusieurs politiques historiques à fort impact territorial, telles que la cohésion, l’agriculture ou la pêche. Elle redoute également une « mise sous tutelle » nationale des autorités de gestion régionales et un recul possible de l’ambition européenne sur la souveraineté alimentaire par « l’affaiblissement de la politique agricole commune ».
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